La privatisation du fédéralisme basque

Jule Goikoetxea

jule.goikoetxea@ehu.es

Diplômée de l’Université de Cambridge et de l’Université du Pays basque, Jule Goikoetxea a travaillé comme chargée de recherche à l’University College de Londres, à l’Université de Cambridge, à l’Université d’Oxford et à l’Université Queen’s (Canada). Elle a aussi été directrice des études du programme de maîtrise en gouvernance à l’Université du Pays basque et est actuellement membre du Centre international d’études de genre de l’Université d’Oxford. Son dernier ouvrage, Privatizing Democracy (2017), a été publié aux éditions Peter Lang, Oxford.

 

Résumé

À l’ère de la privatisation mondiale, il est crucial de savoir pourquoi et comment certains territoires disparaissent et d’autres se transforment, mais aussi pourquoi et comment certains assemblages territoriaux et certaines territorialités ont plus d’incidence que d’autres sur le bien-être collectif et la démocratisation. La démocratisation est fonction, entre autres choses, des rouages institutionnels et politiques particuliers et locaux qui donnent tout leur sens aux concepts de « nation », de « fédération », de « redistribution », d’« égalité », d’« autonomie » et autres notions clés qui définissent non seulement les pratiques et discours nationalistes, mais aussi ceux de la démocratie. Ainsi, encore une fois, la Communauté autonome du Pays basque revendique son droit à l’autodétermination ou à plus d’autonomie gouvernementale non pas parce qu’elle représente une nationalité ou une ethnie distincte au sens apolitique d’unité culturelle prédéterminée, mais parce qu’elle est un territoire politique fédéral qui, en raison de ses structures politiques et institutionnelles, de son fonctionnement et des contestations dont il a fait l’objet, a façonné les besoins de la population et y a bien répondu tout en continuant de revendiquer son droit d’édicter ses propres lois et de mieux faire que l’État espagnol lui-même.

Introduction

À l’ère de la privatisation mondiale, il est crucial de savoir pourquoi et comment certains territoires disparaissent et d’autres se transforment, mais aussi pourquoi et comment certains assemblages territoriaux et certaines territorialités ont plus d’incidence que d’autres sur le bien-être collectif et la démocratisation. Le territoire de l’État est « dénationalisé », mais certains territoires sont aussi en voie d’être « renationalisés », tout comme certaines nations sont « déterritorialisées », puis « reterritorialisées » autrement. Donc, même si de nouvelles géographies se dessinent comme conséquence de l’intégration de réseaux, de réglementations et de systèmes de gouvernance mondiaux à des échelles variées, du village à la région métropolitaine et dans la même territorialité étatique, la question qu’il convient de se poser est la suivante : pourquoi les habitants d’Easterhouse, de Calabre, d’Andalousie et de Torrevieja sont-ils en moins bonne posture que ceux de The Grange, de Lombardie, de Catalogne ou de Getxo, bien qu’ils appartiennent, dans l’ordre, au même territoire étatique, à la même nation, à la même union et à la même région? Voilà la question à laquelle doit répondre la théorie de la démocratie du XXIe siècle.

La démocratisation est fonction, entre autres choses, des rouages institutionnels et politiques particuliers et locaux qui donnent tout leur sens aux concepts de « nation », de « fédération », de « redistribution », de « représentation », d’« égalité », d’« autonomie » et autres notions clés qui définissent non seulement les pratiques et discours nationalistes, mais aussi ceux de la démocratie, y compris les pratiques gouvernementales et les revendications politiques. Ainsi, encore une fois, la Communauté autonome du Pays basque revendique son droit à l’autodétermination ou à plus d’autonomie gouvernementale non pas parce qu’elle représente une nationalité ou une ethnie distincte au sens apolitique d’unité culturelle prédéterminée, mais parce qu’elle occupe un territoire politique fédéral qui, en raison de ses structures politiques et institutionnelles, de son fonctionnement et des contestations dont il a fait l’objet, a façonné les besoins de la population et y a bien répondu tout en continuant de revendiquer son droit d’édicter ses propres lois et de faire mieux que l’État espagnol lui-même.

La structure politique de la Communauté autonome du Pays basque, grâce à la représentation paritaire de chaque territoire et aux systèmes territoriaux de finances publiques, a permis d’accroître la pluralité, l’autonomie, l’autorité et la capacité des territoires. Cette structure fédérale a contribué à l’accroissement de la production et donc de la richesse, du savoir et du bien-être à l’échelle du pays et, par voie de conséquence, à l’amélioration de l’égalité socioéconomique et de la capacité politique, ainsi qu’à l’élargissement du processus de démocratisation, cela dit dans une optique de politique comparée.

Dans le présent article, nous allons nous pencher sur l’une des causes de la perte de légitimité de l’État espagnol dans la Communauté autonome du Pays basque, soit le processus de privatisation par la recentralisation. À cette fin, nous examinerons d’abord la structure politique de la Communauté autonome du Pays basque, puisqu’il s’agit d’une des étapes préalables pour comprendre comment (et non pourquoi) le processus multiniveau de « dédémocratisation » mondiale et européenne, qui implique toutes sortes de procédés de privatisation, se répercute sur la population basque.

Le fédéralisme basque

Le Pays basque s’étend sur deux pays, trois régions juridico-administratives et sept provinces ou territoires (quatre en Espagne et trois en France). Les territoires du Pays basque Sud sont formés de deux communautés autonomes, soit la Communauté autonome du Pays basque et la Communauté forale de Navarre (La Navarre). On y constate une démocratisation inégale, notamment en raison du faible niveau d’institutionnalisation du Pays basque Nord et des usages divers auxquels la Communauté autonome du Pays basque et La Navarre ont réservé leurs institutions et leurs compétences politiques. Ainsi, les territoires basques n’entretiennent pas de relations d’égalité avec les États. Ce sont des assemblages multidimensionnels qui forment la géographie de la nation basque, chevauchant la nation espagnole au sud, et la nation française au nord. Ces territorialités diverses et, à certains égards, divergentes, se rattachent à leur tour à la mosaïque européenne des droits, des pouvoirs et des capacités qui s’étale à l’échelle géographique locale, régionale, nationale, étatique et mondiale.

Les solutions mises de l’avant pour combler les déficits démocratiques en Europe et dans le reste du monde reposent sur le principe selon lequel la démocratie peut fonctionner sans souveraineté. Nous verrons donc que l’ensemble de structures publiques que nous appelons l’État ainsi que la théorie et les pratiques liées à la souveraineté populaire et étatique constituent des conditions fondamentales de la démocratisation. En effet, moins une collectivité politique détiendra de pouvoirs institutionnels et constitutionnels, moins elle pourra établir sa souveraineté et, par le fait même, invoquer ses pouvoirs pour assurer sa survie en tant que démocratie dans le temps et dans l’espace.

La Constitution fédérale de la Communauté autonome du Pays basque

La Loi des territoires historiques est considérée comme la constitution interne de la Communauté autonome du Pays basque, parce qu’elle définit la répartition des rôles et des compétences de l’administration publique entre les différents paliers de gouvernement. Principalement, elle comporte des dispositions visant à garantir l’égalité et la parité des territoires constituants au moyen du système de représentation parlementaire et du système de finances publiques des territoires.

Le système parlementaire fédéral

L’égalité et la parité politiques des territoires basques sont garanties grâce au système de représentation parlementaire établi en vertu de la Loi des territoires historiques. Le système est conçu de façon à donner à la représentation territoriale préséance sur la représentation proportionnelle. Ainsi, chaque territoire compte un nombre égal de représentants au Parlement basque. Les provinces d’Alava, de Biscaye et de Guipuscoa, qui comptent respectivement environ 300 000 habitants, plus d’un million d’habitants et environ 700 000 habitants, élisent 25 représentants chacune. En Alava, un candidat doit obtenir environ 5 000 voix pour être élu; pour un candidat de la Biscaye, c’est 20 000 voix. De même, la préséance est accordée au territoire dans le système parlementaire territorial. Chaque parlement territorial compte 51 députés, ou parlementaires, foraux.

Le système de finances publiques fédéral

L’égalité économique des territoires est garantie en vertu de ce qu’il a été convenu d’appeler l’Accord économique basque (1981-2002), qui approfondit et actualise les dispositions énoncées dans le Statut d’autonomie du Pays basque de 1979 et la Loi des territoires historiques de 1983. L’Accord économique basque accorde aux trois territoires historiques d’Alava, de Biscaye et de Guipuscoa le pouvoir d’imposition et de réglementation en plus de leur permettre de percevoir 92 % de tous les impôts, c’est-à-dire la totalité des recettes fiscales à l’exception des droits de douane perçus sur les importations hors Union européenne. Cet accord présente deux grandes particularités. Premièrement, il confère aux territoires basques l’autonomie fiscale, ce qui signifie que ces derniers disposent d’un pouvoir de réglementation fiscale à l’intérieur de la Communauté autonome du Pays basque ainsi que de gestion, de règlement et de contrôle à l’égard de tous les impôts perçus. Après règlement, chaque gouvernement territorial doit remettre une partie des recettes perçues au gouvernement basque, qui ne dispose pas de pouvoirs fiscaux. Deuxièmement, en vertu de l’Accord économique basque, les territoires sont tenus de verser un certain montant au Trésor espagnol, appelé « contribution du Pays basque à l’État », ou cupo. Cette contribution correspond actuellement à 6,24 % des dépenses générales que l’État espagnol engage dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence (armée, diplomatie étrangère, etc.).

Le lien entre les structures politiques de la Communauté autonome du Pays basque, la démocratie et le fédéralisme

Le bel équilibre de la Communauté autonome du Pays basque sur les plans de la cohésion sociale et territoriale (démocratie), comparativement aux autres communautés autonomes de l’Espagne, est attribuable essentiellement à son autonomie économique territoriale (permise en vertu du système de finances publiques quasi confédéral), à la parité politique territoriale (permise en vertu du système de représentation fédérale) et à la culture fédérale sous-jacente. Tout d’abord, on peut penser qu’il en serait tout autrement si Bilbao (ville la plus peuplée et capitale économique) était la capitale administrative de la Communauté autonome du Pays basque (au lieu de Vitoria-Gasteiz, située en Alava, la province la moins peuplée). Le cas échéant, en l’espace de quelques années et sous l’effet de la centralisation et de la concentration urbaine, plusieurs centaines de milliers de personnes auraient quitté les deux autres territoires (Alava et Guipuscoa) pour s’installer à Bilbao, ce qui aurait conduit à la même situation que nous avons pu observer ailleurs en Espagne : la population de Madrid a augmenté d’environ 40 % et celle de Barcelone, d’environ 20 %, depuis l’instauration de la démocratie libérale en 1979, tandis que 23 provinces ont perdu la majeure partie de leur population ou l’ont vue diminuer de façon spectaculaire. Ainsi, près de la moitié de la population espagnole vit dans les sept provinces les plus peuplées.

Bien que le lien entre les politiques territoriales de centralisation et la diminution de la cohésion territoriale ait été longuement analysé, on s’est moins penché sur les conséquences de ces politiques sur la cohésion sociale. Après analyse des variantes européennes du capitalisme de même que de la répartition de la population et du produit intérieur brut (PIB) dans les régions européennes, on pourrait conclure que les politiques de centralisation et de concentration urbaine sont généralement assorties d’une politique économique donnée en vertu de laquelle la valeur ajoutée brute (VAB) provient majoritairement du secteur traditionnel des services plutôt que du secteur industriel. Dans le cas de l’Espagne, la majeure partie des revenus du secteur traditionnel des services provient du tourisme, le secteur industriel ne représentant que 17 %. Dans la Communauté autonome du Pays basque, cependant, le secteur industriel occupe une place beaucoup plus importante et représente 1,86 % du PIB de l’Espagne, malgré sa main-d’œuvre d’à peine 270 000 travailleurs (40 000 de moins en 2016), tandis que le tourisme espagnol représente 10 % du PIB espagnol, mais emploie environ 3 millions de personnes. Un tel écart indique que le tourisme (et le secteur de la construction) a une très faible valeur ajoutée, de telle sorte que la structure économique de l’Espagne est caractérisée par une faible productivité. Actuellement, le secteur industriel connaît une décroissance dans chaque communauté autonome, et suivant la logique du capitalisme financier (par opposition au capitalisme industriel), le secteur des services fleurit quand le secteur industriel ralentit.

Voilà un des principaux facteurs qui explique pourquoi l’élite économique et politique espagnole exerce des pressions pour recentraliser non seulement les pouvoirs et les compétences en matière de politique industrielle et scientifique, mais aussi dans les domaines de la fiscalité, de la finance, des marchés et du travail, comme nous le verrons plus loin.

La privatisation de la démocratie fédérale basque par la recentralisation espagnole

La pandémie de COVID-19 n’a fait qu’accélérer et rendre plus visible le processus de centralisation et de privatisation que l’État espagnol a entrepris sous la direction de différents membres de son élite politique et économique (y compris parmi l’élite économique basque et catalane). Nous allons examiner la portée des lois adoptées par le pouvoir législatif espagnol, depuis 2010 surtout, et plus particulièrement leur incidence sur l’exercice des pouvoirs, des capacités politiques et du niveau d’autonomie gouvernementale actuellement au sein de la Communauté autonome du Pays basque. Pour ce faire, nous nous pencherons principalement sur les travaux de recherche effectués par Nikolas et Urrutia en 2016.

Le 10 février 2012, le conseil des ministres espagnol a approuvé le décret royal 3/2012 portant sur la réforme du droit (ou marché) du travail, désignée sous le nom de « réforme du travail du Parti populaire ». Cette réforme fait partie d’un train de mesures adoptées dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance entériné par l’Union européenne au printemps 2011, dans lequel était recommandée une refonte en profondeur du droit du travail dans le but de l’assouplir, de faciliter les procédures de licenciement et d’en réduire le coût (comprendre délester le droit du travail et le formuler de manière à ne pas aller à l’encontre des intérêts des capitaux, des dirigeants d’entreprise et des employeurs).

Elle a eu pour conséquence d’accroître le pouvoir des entreprises et d’affaiblir le pouvoir de négociation collective et des syndicats, de donner lieu à d’importantes dévaluations salariales et à une destruction massive de l’emploi, tant et si bien que les syndicats, les milieux universitaires et les acteurs sociaux en général qualifient la réforme de changement qui sert les intérêts des grandes sociétés et de l’élite financière et, par ricochet, d’étape dans le processus de privatisation de la démocratie (Goikoetxea, 2017).

En ce qui concerne l’autonomie financière et la stabilité budgétaire, la deuxième modification à la Constitution espagnole a été annoncée le 27 septembre 2011, 30 jours seulement après la présentation, par les groupes parlementaires des partis socialistes et populaires (sous la pression de l’Union européenne) de leur projet de modification de l’article 135 de la Constitution. L’article 135 énonce le principe de stabilité budgétaire en interdisant à l’État et aux communautés autonomes d’encourir un déficit structurel qui dépasse les limites fixées par des intérêts privés, donc des entités non élues par la population, le volume de la dette publique de toutes les administrations publiques ne pouvant dépasser un maximum établi par rapport au produit intérieur brut. De plus, il y est donné la priorité absolue au paiement des intérêts (aux banques privées) de la dette publique, qui ironiquement, est une dette privée (dette des banques privées) avant d’être transférée, par le pouvoir exécutif, à la population.

De nouvelles règles sur les caisses d’épargne ont également été adoptées par le gouvernement central. Ces règles sont venues modifier la configuration juridique des institutions financières. Auparavant, les caisses d’épargne relevaient des institutions publiques du gouvernement autonome, reconnues en vertu du statut d’autonomie, mais ces pouvoirs ont été retirés à la Communauté autonome du Pays basque à la suite de l’adoption des nouvelles règles. En vertu du nouveau régime juridique, les caisses d’épargne ont été tenues de transférer toutes leurs affaires financières à une banque privée.

Sur le plan économique, le pouvoir exécutif espagnol, en raison de l’influence qu’il exerce sur les pouvoirs des communautés autonomes, a pu accroître son pouvoir de dépenser. Au début de la crise économique, particulièrement, il a créé des programmes de soutien financier dans des domaines de compétence exclusive des communautés autonomes. Malgré cette ingérence manifeste dans les affaires régionales, la situation s’est compliquée à un point tel que les communautés autonomes ont dû entamer des poursuites contre l’État pour contester la légitimité de programmes destinés à leurs habitants (Nikolas et Urrutia, 2016, p. 200). Dans le même ordre d’idées, l’État espagnol a adopté des règles d’uniformisation des régimes d’aide financière, privant les communautés autonomes de certains pouvoirs juridiques en matière de réglementation des programmes d’aide financière. En vertu de l’arrêt de 2013, le pouvoir de réglementer les programmes d’aide financière courants a été transféré à l’État. Tous ces changements ont découlé d’un mouvement de reconfiguration du marché intérieur qui a eu pour effet de restreindre, des points de vue financiers et des pouvoirs, l’autonomie gouvernementale. Cette reconfiguration s’est opérée au moyen d’un train de mesures législatives dont le point culminant a été (jusqu’ici) l’adoption de la Loi sur la garantie de l’unité de marché, qui stipule que l’objectif premier de la réglementation est d’assurer l’unité du marché espagnol pour « éliminer ou réduire au minimum tous les obstacles aux activités économiques découlant de l’organisation administrative des territoires [traduction] ». En outre, d’autres mesures minent la capacité d’autonomie gouvernementale des communautés autonomes, dont l’interdiction d’embaucher du nouveau personnel dans les administrations régionales et locales, la réglementation uniforme sur la rémunération et les heures de travail ainsi que l’interdiction relative aux cotisations aux régimes de retraite.

Le même phénomène s’est produit dans tous les domaines, y compris en éducation et en santé. Dans le domaine de la santé, de nouvelles règles sont entrées en vigueur en avril 2012 qui ont eu pour effet d’empêcher la Communauté autonome du Pays basque d’exercer ses compétences en la matière. Pour ce faire, l’État central a restreint les pouvoirs régionaux en élargissant son champ de compétences, les nouvelles règles bloquant l’accès universel aux soins de santé publics instaurés et administrés par la Communauté autonome du Pays basque. L’un des effets les plus visibles de ce changement a été le retrait des droits de certains groupes d’immigrants (les « sans-papiers ») aux soins de santé.

Enfin, les lois sur la rationalisation et la durabilité de la gouvernance locale ont transformé le visage de l’autonomie gouvernementale par des moyens strictement économiques. La réforme juridique visait les objectifs suivants : premièrement, simplifier la structure organisationnelle des gouvernements locaux en conformité avec les principes d’efficacité, de stabilité financière et de durabilité; deuxièmement, exercer un contrôle financier et budgétaire plus rigoureux; troisièmement, favoriser les initiatives économiques privées pour éviter à l’État de devoir intervenir trop souvent en matière d’économie (Nikolas et Urrutia, 2016, p. 207).

C’est ainsi qu’on privatise les collectivités et territoires locaux, processus que j’ai nommé privatisation de la démocratie locale.

Conclusion

La démocratisation est l’action de faire participer le plus grand nombre de personnes dans la gouvernance du système politique et socioéconomique d’un État en mettant à leur disposition les méthodes et institutions publiques disciplinaires et biopolitiques dont elles ont besoin pour ce faire, auxquelles elles doivent se soumettre, mais qui leur permettront aussi de bénéficier d’un accès aussi égal que possible aux ressources et aux possibilités menant à l’autonomie (Goikoetxea, 2017).

Nous avons vu qu’une tendance vers la recentralisation se dégageait de l’ensemble des réformes amorcées au cours de la dernière décennie. L’objectif est de privatiser tous les mécanismes dont dispose la population pour se gouverner : c’est pourquoi l’autonomie gouvernementale n’est plus qu’une question purement économique, qui fait abstraction du rôle des communautés autonomes et des autorités locales en tant que voies de participation politique. Il s’agit-là d’un cas frappant de « dédémocratisation ».

Néanmoins, il existe un lien étroit, d’une part, entre la structure politique fédérale basque et la conception de l’autonomie gouvernementale de la Communauté autonome du Pays basque, et d’autre part, entre l’autonomie gouvernementale fédérale et la démocratisation (sur le plan de la cohésion sociale et territoriale). L’exemple de la Communauté autonome du Pays basque nous permet de faire quelques associations intéressantes sur la façon dont certaines structures étatiques, capacités politiques et cultures politiques fédérales donnent lieu à une territorialisation du bien-être, laquelle donne parfois naissance à des processus de démocratisation particuliers. Le cas de l’Espagne illustre également bien comment l’absence de culture politique fédérale dans un État multinational et la conception néolibérale de la politique peuvent mener à la dédémocratisation.

Traduction par Josée Brisson, trad. a.

 

Citation suggérée: Goikoetxea, J. 2020. « La privatisation du fédéralisme basque ». 50 déclinaisons de fédéralisme.

 

Références

Goikoetxea, Jule. 2017. Privatizing Democracy, Oxford: Peter Lang.

Nikolas, Zelai et Urrutia, Iñigo. 2016. « The new recentralization trend in Spain », dans Basque nationhood: towards a democratic scenario, New York: Peter Lang.

Lectures suggérées

Burgess, M. 2006. Comparative Federalism: theory and practice, Oxford: Routledge.

Burgess, M. 2012. « Multinational Federalism in Multinational Federation », dans Gagnon, A.-G. et Seymour, M. (dir.) Multinational Federalism: Problems and Prospects, Londres: Palgrave Macmillan : 23-44.

Burgess, M. 2009. « From Dominance to Partnership. The Inheritance of Majority Nations in Multinational Federations », dans, Lecours, A. et Nootens, G. (dir.) Dominant Nationalism, Dominant Ethnicity: Identity, Federalism, and Democracy, Berlin: Peter Lang : 173-194.

Yack, B. 2012. Nationalism and the Moral Psychology of Community, Chicago: Chicago University Press.

Tilly, C. 2007. Democracy, Cambridge, Cambridge University Press.

Sassen, S. 2008. TerritoryAuthorityRights: From Medieval to Global Assemblages, Princeton: Princeton University Press.

 

 

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