Maria Fernanda OrtegaDiplômée de l’Université polytechnique expérimentale nationale (UNEXPO) Antonio José de Sucre, au Venezuela, Maria Fernanda Ortega a participé aux assemblées politiques de sa ville natale de 2007 à 2014. En 2015, elle a déménagé aux États-Unis et étudié en théologie à l’International University and Theological Seminary de Los Angeles. Récemment, elle a obtenu le titre de chargée de mission auprès du Centre international de formation européenne à Nice. |
Résumé
Le Venezuela poursuit ses efforts de décentralisation depuis qu’il a accédé à l’indépendance en 1830. Le pays a toujours adhéré à un modèle anglo-saxon de fédéralisme, qu’il a eu du mal à instaurer au fil des ans. Le Venezuela a adopté 25 constitutions depuis 1811, la plupart attribuant au pays le statut de fédération. L’exercice du pouvoir national a toujours oscillé tel un pendule entre les régimes autocratiques et les systèmes décentralisés. De 1988 à 1998, le pays avait fait une avancée remarquable en vue de la ratification d’un système fédéral. En 1999, toutefois, après l’élection du président Hugo Chávez Frias, le pays a abandonné tous les efforts de décentralisation et amorcé une nouvelle ère autoritaire.
Introduction
En Amérique latine, certains pays ont adopté un régime fédéral au moment de leur indépendance. Inspirés par les résultats politiques positifs observés aux États-Unis, ces pays se sont engagés dans la même voie pour assurer leur liberté au lendemain de la décolonisation (Levine, 2012). Le modèle anglo-saxon de fédéralisme présentait des mécanismes de résolution des conflits tout en protégeant l’intégration, la souveraineté et la représentation des différents groupes. C’est ainsi que des pays d’Amérique latine ont connu un processus complexe de construction de l’État, exposés à la fois aux modèles de fédéralisme et de décentralisation, aux régimes autoritaires et aux nouveaux mouvements de démocratisation. Le Venezuela, par exemple, a un long passé de développement et de régionalisation ayant pour objectif d’assurer sa souveraineté. Les défis hérités du passé ont marqué la perception qu’ont les citoyens de l’autonomie et des droits territoriaux. Le pays a fait figure de pionnier dans le mouvement de fédéralisme en Amérique latine après son indépendance et a été le deuxième pays du continent, après les États-Unis, à adopter un régime fédéral (Brewer, 2014). Pourtant, 200 ans après la déclaration de la Constitution fédérale, le Venezuela traverse encore une période critique, marquée par les conflits économiques, sociaux et politiques. Le fédéralisme a été mis en place en tant que solution politique exempte de toute dimension religieuse et ethnique.
Le système démocratique du pays a oscillé tel un pendule pendant de nombreuses années. Cette forme de démocratie pendulaire, inspirée du système de Westminster, conjugue les modèles de démocratie indirecte et de démocratie majoritaire (Hendriks, 2010). La chute du régime de dictature de Marcos Pérez Jiménez et de la junte de gouvernement le 23 janvier 1958 a marqué le commencement d’une nouvelle ère démocratique au pays. En politique vénézuélienne, le pendule se balance entre les régimes autocratiques et les systèmes décentralisés. Le modèle de gouvernance adopté au Venezuela affiche une transition d’une nation indépendante et autonome vers un État fédéral, et d’une autocratie vers une démocratie (Brewer, 2004).
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Malgré les embûches, le Venezuela a toujours tenté de promouvoir le concept de fédération tout au long de son passé politique. Le pays a apporté une suite de changements entre 1989 et 1998 pour décentraliser les pouvoirs. Comme premier changement positif, il a adopté des lois favorisant le processus de décentralisation, dont la Loi sur l’élection et la révocation des gouverneurs d’État en août 1988 et la Loi sur la durée des mandats publics au sein des États en avril 1989 (Rachadell, 1999). Puis, en décembre 1989, le gouvernement a promulgué la Loi sur la décentralisation. Avant son adoption, les régions n’avaient pour ainsi dire pas accès aux revenus. Essentiellement, 90 % des revenus des États provenaient de transferts du gouvernement national.
Cette nouvelle loi, conjuguée à la volonté des régions, a amené un changement porteur d’un nouvel avenir pour le pays. Toutefois, le projet et ses transformations ont pris fin lorsque le pays a amorcé un cinquième cycle politique dominé par l’autocratie. Ce cycle a débuté en 1998 avec l’élection du président Chávez et s’est même poursuivi après sa mort en 2013. Aujourd’hui sous l’emprise de Nicolas Maduro, toutes les branches du gouvernement continuent d’être soumises à un contrôle centralisé.
Prix élevés du pétrole et nouvelle ère de centralisation
L’économie du Venezuela était vigoureuse pendant la présidence de Chávez, de 1999 à 2013. De 1999 à 2011, le produit intérieur brut (PIB) par habitant a augmenté pour passer de 4 105 $ à 10 810 $; le taux de chômage, lui, a diminué pour passer de 14,5 % à 7,6 %; enfin, le taux de pauvreté a aussi diminué pour passer de 23,4 % à 8,5 % (Banque mondiale, 2012). Le pays doit sa réussite au cours de ces douze années de mandat gouvernemental à un seul facteur : les prix élevés du pétrole. Les revenus provenant des ressources nationales ont été réinjectés dans les programmes d’aide sociale à l’intention des habitants et d’autres nations en échange de privilèges. Chávez a versé des millions de dollars en dons à ses missions populaires (Misiones Populares) vouées aux Vénézuéliens.
Dès le départ, le gouvernement ne souhaitait pas vraiment mêler tous les segments et secteurs de la société au programme politique de la nation. L’État n’a pas non plus manifesté grand intérêt pour le rétablissement de la démocratie. Le pays s’est centralisé davantage après l’approbation de la Constitution de 1999. Cette constitution prévoyait la création de l’Assemblée nationale constituante (ANC), qui allait devenir l’organe institutionnel par lequel le président Chávez allait prendre le contrôle de l’ensemble des branches du gouvernement. L’Assemblée nationale constituante a ainsi pris en charge toutes les branches du gouvernement et s’est imposée dans toutes les assemblées régionales.
Protestations publiques d’un bout à l’autre du pays et président désintéressé
Le pays a connu des périodes d’autoritarisme intense pendant les présidences de Chávez et de son successeur, Maduro, qui ont opté pour un modèle de partage parcimonieux des pouvoirs parmi différents groupes politiques. Les échelons national, étatique et municipal devaient être gouvernés par un membre de leur parti. Ces dirigeants devaient absolument accorder certains pouvoirs à leurs sympathisants sans leur laisser trop de marge de manœuvre. Après tout, les dirigeants autoritaires savent qu’ils pourront conserver leur emprise sur le pouvoir en achetant la loyauté de leur entourage (Magaloni, 2008). Le président Chávez aspirait en priorité à concrétiser ses idéaux socialistes et à transformer l’avenir de l’Amérique latine.
C’est ainsi que le Venezuela a entamé son cinquième cycle politique : en élisant Chávez à la présidence de la République. Et que le pays a basculé de nouveau dans le repli autocratique de l’histoire. Lorsqu’il a pris le pouvoir en 1999, le président Chávez a d’abord, comme premier changement, promulgué une nouvelle constitution, la Carta Magna. Cette dernière ne définit pas tout à fait clairement les paramètres en vertu desquels le gouvernement national peut s’interposer dans les décisions locales. Cependant, ses dispositions relatives à l’intégration des minorités, au respect des droits de la personne et à l’État fédéral en ont fait un document plus actualisé et inclusif. Ce n’est donc pas la Constitution qui posait problème, mais le manque de volonté de Chávez et de son successeur de respecter l’État de droit et les limites de la Constitution.
Le Venezuela est entré en état d’urgence constitutionnelle lorsque le Tribunal suprême de justice a retiré les pouvoirs à l’Assemblée nationale (Tribunal suprême de justice, décision no 15, 2017). En 2017, des manifestations, protestations et émeutes soutenues ont poussé le président Maduro à prendre la décision de revoir la Constitution. Il a donc créé une Assemblée nationale constituante formée de partisans politiques autres que ceux de l’Assemblée nationale officielle du pays. En guise de défense, l’Assemblée nationale a monté un dossier contre le Tribunal suprême de justice, mais elle n’a pas été en mesure de contester ces mesures anticonstitutionnelles (Reuters, 2017). Le président de l’Assemblée nationale, Julio Borges, pour faire cesser ces actions illégales, a invoqué les articles 333 et 350 de la Constitution et entamé un procès en destitution contre le président Maduro.
Toutefois, sur la scène internationale, la confusion et la désinformation régnaient (Brewer, 2014). En janvier 2019, Juan Guaidó, en tant que président de l’Assemblée nationale, s’est proclamé président de la République par intérim, faute d’élu habilité à assumer la direction de la République pour le prochain mandat présidentiel (2019-2025).
C’est que, en 2018, Nicolas Maduro avait été réélu à la tête du pays, mais le scrutin ne s’était pas déroulé en conformité avec les critères nationaux et universellement reconnus pour la tenue d’élections libres, équitables et justes. C’est une Assemblée nationale constituante factice et illégitime, instaurée en 2017, qui avait assermenté Maduro comme président de la République et non le Conseil national électoral, l’institution chargée de superviser les processus électoraux au Venezuela. Encore aujourd’hui, le Venezuela est tiraillé entre le régime illégal de Maduro et la volonté des partisans de Juan Guaidó de réformer les systèmes démocratiques. Or, les partisans Guaidó se sont néanmoins faits plus discrets au cours des derniers mois, en raison surtout du manque de soutien international en faveur des réformes démocratiques au pays.
Un avenir flou?
Dans un pays où la participation citoyenne est inexistante et où la loyauté envers le gouvernement est de mise, le fédéralisme continuera de relever du rêve, jusqu’à ce qu’un leadership nouveau se fasse jour. Il faut néanmoins continuer d’avoir foi en l’avenir du Venezuela en tant que fédération. Après tout, les efforts de décentralisation de 1989 n’ont-ils pas été couronnés de succès? Faute de connaissances sur la décentralisation des pouvoirs et de temps pour la mettre en place, les visées fédéralistes n’ont pu se concrétiser à la fin du siècle dernier. Lorsque le pays aura retrouvé sa liberté de décision, il pourra faire appel au fédéralisme comme outil pour résoudre efficacement les conflits sur son territoire.
Plus que jamais au Venezuela, les minorités sont exclues et les familles, divisées selon leurs allégeances politiques; ce n’est que conflit et désespoir. Le fédéralisme et la décentralisation constituent des gages d’une démocratie améliorée, d’une bonne gouvernance et d’une gestion plus saine de la diversité. À eux seuls, ils n’apporteront certes pas la paix, pas plus qu’ils ne permettront de reconstruire les États après le conflit. Ils ne constituent pas non plus des garanties d’intégrité territoriale ni de stabilité à long terme (Anderson et Keil, 2017). En revanche, la paix est possible si les risques de conflit sont écartés, puisque les échelons inférieurs du gouvernement pourront collaborer directement avec les groupes minoritaires (Bermeo, 2002). Si le Venezuela souhaite régler ses divergences et s’unir pour progresser en tant que nation, il doit faire preuve de plus de souplesse et s’adapter pour surmonter les nouveaux obstacles qui surgiront sur le chemin de la guérison de ses vieilles blessures.
Traduction par Josée Brisson, trad. a.
Citation suggérée: Ortega, Maria Fernanda. 2021. « Le fédéralisme oublié du Venezuela ». 50 déclinaisons de fédéralisme.
Références
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Brewer, A. R. 2004. Centralized Federalism in Venezuela. Caracas: Editorial Jurídica Venezolana.
Brewer A. R. et Kleinheisterkamp J. 2014. Venezuela: the End of Federalism? Federalism and Legal Unification. Dans: Halberstam, D. et Reimann, M. (dir.), Federalism and Legal Unification. A Comparative Empirical Investigation of Twenty Systems. Comparative Perspectives on Law and Justice, vol. 28. Springer, Dordrecht, pp. 523-543.
Hendriks, F. 2010. Vital Democracy: A Theory of Democracy in Action. Oxford: Oxford University Press.
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Tribunal suprême de justice. Jugement No. 155 du 27 mars 2017, Cas. No. 17-0323, Avis conjoint, et No. 156 du 28 mars 2017, Cas. No. 17-0325.
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Lectures suggérées
Brewer C. 2019. Constitutional Chronicle of a Venezuela in the Darkness. Olejnik Editions, Santiago, Buenos Aires, Madrid.
Eaton, K. 2017. Territory and Ideology in Latin America: Policy Conflicts between National and Subnational Governments. Oxford: Oxford University Press.
Meng, J. 2008. Impact of Governance Structure on Economic and Social Performance: A Case Study of Latin American Countries. https://repository.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1051&context=wharton_research_scholars
Milco B. 2019. The Cuban Case and the Stockholm Syndrome. Morrisville, Editor Lulu.com.