Le péché originel du fédéralisme éthiopien

Yonatan Fessha, professeur de droit associé à l’Université du Cap-Occidental

yfessha@uwc.ac.zaid

Yonatan Fessha (LLB, LLM, PhD) est professeur de droit associé à l’Université du Cap-Occidental. Ses recherches portent sur le droit constitutionnel et les droits de la personne, avec un accent particulier sur la pertinence des modèles constitutionnels pour répondre aux défis rencontrés par les sociétés divisées sur le plan ethnique. Il est l’auteur de nombreuses publications sur un grand nombre de sujets, qui incluent, entre autres, le fédéralisme, l’aménagement constitutionnel, l’autonomie et la politisation de l’ethnicité. Il est aussi l’auteur d’une monographie intitulée Ethnic Diversity and Federalism: Constitution Making in South Africa and Ethiopia. Il a également participé à plusieurs projets d’aménagement constitutionnel, notamment au Soudan, au Soudan du Sud et au Yémen. Enfin, il a été membre du programme de recherche Michigan Grotius de l’Université du Michigan.

Résumé

En Éthiopie, l’autonomie territoriale des groupes ethniques fait partie des principaux éléments ayant pour but de répondre aux défis posés par la diversité ethnique du pays. Le choix constitutionnel d’utiliser l’ethnicité comme base pour l’organisation de l’État constitue donc une reconnaissance de sa pertinence politique. Cependant, le fait d’imposer que chaque groupe ethnique majeur soit respectivement dominant dans une seule et unique unité infranationale a fait du facteur ethnique le principal marqueur identitaire politique du pays. Or, cette approche néglige d’autres identités historiques ou politiques qui sont tout aussi pertinentes. Ainsi, la constitution éthiopienne a manqué l’occasion de répondre aux préoccupations ethniques autrement qu’en figeant l’ethnicité dans une telle identité politique exclusive.

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Introduction

Les Jeux olympiques de Rio prirent fin au mois d’août 2016, et le marathon masculin fut une des épreuves majeures du dernier jour de la compétition. À cette occasion, la course fut dominée par les protagonistes habituels (exception faite d’une équipe américaine peu commune) : les coureurs éthiopiens et kenyans constituèrent le peloton de tête sur la presque totalité de la tortueuse course de 42 kilomètres. Or, bien que la médaille d’or ait finalement été remportée par le Kenyan Eliud Kipchoge, c’est le vainqueur de la médaille d’argent, l’éthiopien Feyisa Lilesa, qui fut le principal centre d’attention des médias internationaux après la compétition, en grande partie à cause d’un geste qu’il posa en franchissant la ligne d’arrivée : il leva les mains au ciel et croisa ses poignets au-dessus de sa tête. Ce faisant, il exprimait sa solidarité envers les manifestations oromo qui avaient alors lieu depuis plus de six mois en Éthiopie.

L’Éthiopie est le théâtre d’importantes manifestations depuis quelques années. Elles débutèrent en opposition au plan-cadre de la ville d’Addis-Abeba, dont les manifestants estimaient qu’il empiétait sur le territoire de l’État d’Oromia, puis gagnèrent en ampleur jusqu’à se transformer en un mouvement de protestation décriant la marginalisation politique des Oromos. La tension politique grimpa d’un cran supplémentaire lorsque les manifestants furent rejoints par des membres de la deuxième ethnie la plus populeuse (les Amharas), laquelle protestait contre le gouvernement. On dénombra de nombreuses pertes humaines à partir de ce moment. La situation continua de se dégrader, forçant le gouvernement fédéral à déclarer l’état d’urgence en février 2018, pour la deuxième fois en deux ans (la première ayant eu lieu entre octobre 2016 et août 2017).

Comment un système fédéral conçu en priorité pour répondre aux enjeux ethniques n’a-t-il pas su éviter de tels affrontements? L’écart qui existe entre le texte et la pratique constitutionnelle fait en sorte qu’il est difficile de juger de l’échec de la solution fédérale pour le cas éthiopien, puisqu’après tout, la constitution fédérale n’a jamais été entièrement mise en pratique en 23 ans d’existence. Autrement dit, l’Éthiopie a peut-être une constitution fédérale, mais elle n’est pas une fédération stricto sensu. On ne peut donc accuser le fédéralisme d’être responsable du manque de qualification fédérale de l’État. Ceci étant, on peut cependant juger de la responsabilité du cadre fédéral dans le tour pris par les mouvements de protestation, notamment en ce qui concerne les lignes d’opposition qui ont été à la base de la mobilisation politique; j’entends par là les fondements ethniques de la contestation.

La fédération éthiopienne est constituée de neuf États – délimités principalement suivant des lignes ethniques – ainsi que de deux villes administratives. Plus de 85 % de la population habite dans cinq des neuf États (à savoir les États de Tigré, Amhara, Oromia, Somalia et Afar), et les individus appartiennent généralement à un seul groupe ethnique. Chacun de ces États est également nommé d’après le groupe ethnique dominant au sein de ses frontières, illustrant ainsi la construction et la désignation explicite de chaque État comme étant la patrie d’un seul groupe ethnolinguistique. Le présent article vise à démontrer que la décision de rendre chaque grand groupe ethnique dominant au sein d’une seule et unique unité infranationale s’est révélée être « le péché originel du fédéralisme éthiopien ». Elle a fait de l’identité ethnique la principale identité politique, « ethnicisant » ainsi la politique éthiopienne.

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L’opportunité manquée

La décision de prendre l’ethnicité comme base organisationnelle de l’État marque une rupture avec les politiques et les pratiques des régimes précédents, qui avaient tenté de créer une identité éthiopienne unique à l’image d’un groupe ethnique en particulier, en ayant recours à la langue, à l’iconographie et aux cultures du ou des groupes en question. Cette décision incarne donc une reconnaissance du fait que la création de l’État éthiopien s’était faite en reléguant un grand nombre de gens ne parlant pas l’amharique au statut de citoyens de seconde classe, ce qui avait contribué à l’émergence des lignes de fracture ethniques qui caractérisent la société éthiopienne. En faisant en sorte que les groupes ethniques soient chacun majoritaire au sein d’une unité infranationale, le fédéralisme a aussi permis à ces groupes de bénéficier d’un espace territorial, facilitant ainsi la préservation et la promotion de leurs langues, de leurs cultures et de leurs identités tout en leur accordant une autonomie dans la gestion de leurs propres communautés. Bien qu’il ait fait l’objet d’un travail de sape par un des partis politiques dominants qui fonctionne de manière centralisée, cet arrangement constitutionnel assure un système permettant de promouvoir l’autonomie politique des communautés ethniques par l’intermédiaire « d’élites régionales » dotées des ressources qui leur assurent une participation et une représentation politique au sein des structures dirigeantes de leurs États respectifs; un système qui se trouve en outre facilité par une politique autorisant des préférences régionales en ce qui concerne les langues d’usage.

La fragmentation

Le choix constitutionnel de doter chaque groupe ethnique majeur d’une patrie et d’y parvenir en faisant en sorte que chaque groupe ethnique soit majoritaire dans un seul et unique État n’est cependant pas dénué de conséquences néfastes. Si ce choix a permis de faciliter la reconnaissance de la diversité ethnique et, dans une certaine mesure, d’apporter une réponse aux revendications qui en émanaient, il a aussi promu l’identité ethnique au statut de principale identité politique. Une telle promotion et, conséquemment, fragmentation de la population suivant des lignes ethnolinguistiques, peut alors être observée dans l’usage croissant de l’ethnicité comme base pour la mobilisation politique. Plus de 65 des 79 partis politiques actuellement enregistrés à la commission électorale nationale et ayant participé activement aux élections nationales de 2015 sont des partis fondés sur une base ethnique. La promotion de l’ethnicité au statut d’identité politique principale peut aussi s’observer dans la transformation des communautés culturelles en communautés politiques.

Quelle que soit leur taille, tous les groupes ethniques ont revendiqué une forme quelconque de reconnaissance et d’autonomie territoriale. Or, un nombre croissant de communautés qui étaient auparavant jugées appartenir à un groupe ethnique plus large en sont venues à revendiquer un statut distinct. Ce processus « d’ethnogenèse » ne s’est par ailleurs pas toujours développé de manière pacifique. Les demandes incessantes de groupes ethniques de tailles diverses pour être incorporés ou transférés dans un État ou dans un autre sont un autre signe de la transformation de l’ethnicité comme fondement principal de l’identité politique. Certaines communautés estiment d’ailleurs qu’elles n’appartiennent pas au territoire auquel elles ont été assignées. Il s’agit d’une autre conséquence de la logique géographique de la fédération, elle-même inhérente au choix constitutionnel de concevoir les États comme appartenant à certains groupes ethniques en particulier, laissant ainsi les autres avec le sentiment d’être étrangers au système ainsi établi.

L’élément essentiel de notre argument est donc que le modèle territorial adopté par la Constitution a figé les identités ethnolinguistiques et les frontières territoriales, ce qui a entraîné la promotion de l’identité ethnique au statut de principale ligne de fracture politique. Cela a aussi provoqué un déclin dans la formation d’identités transversales à ces divisions ethnolinguistiques.

Précisons cependant que le présent article ne défend pas l’idée selon laquelle la politisation de l’ethnicité serait simplement le fruit du modèle constitutionnel actuel. Une telle politisation et son émergence sur la scène politique éthiopienne sont au moins aussi anciennes que le mouvement étudiant ayant contribué à la révolution de 1974 (Fessha 2010). Cet article ne défend pas non plus l’idée selon laquelle la promotion de l’ethnicité au statut de principale identité politique n’aurait pu avoir lieu en l’absence du système des « patries autonomes ». Les multiples expériences offertes par les États multiethniques ne permettent pas de justifier l’argument qui voudrait que le nationalisme minoritaire et les projets antagonistes d’édification nationale qui l’accompagnent n’émergeraient pas en l’absence d’un tel système de patries. Au contraire, l’expérience éthiopienne suggère qu’en l’absence d’accommodements institutionnels ressemblant de près ou de loin à une autonomie territoriale, des projets d’édification nationale antagonistes ont non seulement vu le jour mais ont également réussi à s’emparer du pouvoir étatique et à faire de la « question ethnique » le principal moteur de la démocratisation et de la stabilité (Markakis 2011). Au final, le but de cet article consiste à affirmer que le modèle territorial éthiopien a participé à accroître le poids politique des identités ethniques.

La route non empruntée

La question que l’on doit se poser est donc de savoir si les architectes de la fédération éthiopienne avaient la possibilité de faire d’autres choix en ce qui concerne le dessin des frontières internes de l’État, c’est-à-dire s’ils pouvaient mettre en place un modèle fédéral qui réponde à la fois aux enjeux ethniques sans privilégier les identités ethniques vis-à-vis des autres types d’identité? Une telle option existait effectivement, et elle consistait en une fédération qui n’aurait pas nécessairement été multinationale, mais qui aurait pris la forme d’un État inclusif reconnaissant et, d’une certaine manière, autorisant l’auto-administration des différents groupes ethniques. Lesdits architectes auraient pu atteindre un tel objectif en subdivisant les groupes ethniques numériquement imposants en un ensemble d’unités constituantes, mais, ce faisant, sans priver les groupes ethniques de leur autonomie territoriale. Cela aurait alors eu pour effet de subdiviser les Oromos et les Amharas (et possiblement les Somalis) en un certain nombre d’unités territoriales ethniquement homogènes. Suivant ce modèle, chaque grand groupe ethnique aurait pu accéder à l’autonomie au sein d’une unité homogène tout en étant malgré tout séparé en plusieurs unités différentes.

On peut estimer que deux avantages majeurs auraient découlé d’un tel modèle de fédération. Premièrement, cela aurait permis de prendre en compte d’autres types d’identité (en plus de l’identité ethnique) qui ont une pertinence historique et politique pour la configuration géographique de la fédération. Une des identités en question qui aurait été reconnue dans un tel modèle est le provincialisme, qui correspond à un mode historique d’identification sociopolitique sur une base locale qui remonte à l’Éthiopie antique et qui servait à différencier des individus faisant autrement partie du même groupe ethnique. Les Amharas, qui parlent l’amharique et qui sont pour la plupart des chrétiens orthodoxes, étaient par exemple subdivisés en quatre provinces et se sont battus les uns contre les autres pour le contrôle du trône. Le même constat peut être établi concernant les Oromos qui, en termes géographiques, étaient dispersés entre diverses provinces administratives.

C’est d’ailleurs pour cette raison que des auteurs comme Tareke (1991: 151) insistent sur le fait que, jusqu’en 1991, « l’Oromia, la nation autour de laquelle [le Front de Libération Oromo, le principal mouvement de libération armée oromo] avait essayé de mobiliser les paysans, était une idée abstraite qui ne faisait aucunement référence ni à leur expérience récente comme plus ancienne, ni à des conditions existantes ou objectives », et qu’à bien des égards le mouvement en question tentait ainsi de faire émerger une conscience oromo d’un « vide historique ».

Les identités provinciales constituaient donc une part importante des identités politiques qui caractérisaient la scène sociopolitique éthiopienne avant 1991. La pertinence de ces identités fut également entretenue par le gouvernement militaire qui remplaça la monarchie en 1974 et qui continua de faire usage de ces lignes de séparation pour le découpage administratif. Or, malgré la pertinence politique de ces identités provinciales ancestrales, la constitution actuelle fit le choix de séparer les individus appartenant aux groupes amhara et oromo en deux grands États. Cet « assemblage » (voir Stepan 1999) des Amharas et des Oromos en États distincts est le symbole du remplacement, par l’identité ethnique, d’identités provinciales tout autant pertinentes, tant historiquement que politiquement, qui définissaient déjà les membres de ces groupes ethniques spécifiques.

Deuxièmement, le remodelage que nous envisageons aurait également créé une incitation institutionnelle à la compétition intra-ethnique. La subdivision des Amharas et des Oromos en unités infranationales aurait encouragé une telle compétition en accroissant la pertinence des identités infra-ethniques alternatives au sein de ces groupes – ce qui inclus les identités basées sur des intérêts religieux, sociaux ou économiques, mais également celles basées sur le provincialisme. On aurait donc pu voir émerger un État oromo septentrional chrétien qui aurait présenté une vision de la famille et des affaires privées différentes d’un État oromo musulman du sud-est.

Dans le même temps, la pertinence ainsi accrue des identités infra-ethniques auraient pu être porteuse d’un certain nombre de dividendes. Pour commencer, cela aurait permis de dévaloriser le statut de l’ethnicité comme principale base d’affiliation politique. La politie aurait ainsi pu être reconnue autrement que comme une fédération organisée de manière purement ethnique, ce qui lui aurait permis de bénéficier de la flexibilité et des renversements d’alliance qui découlent de la présence d’identités fluides et multiples. Deuxièmement, la fédération aurait connu moins de tensions si l’on considère que les divisions intra-ethniques sont moins chargées émotionnellement et par conséquent, plus maîtrisables que les divisions inter-ethniques. Troisièmement, enfin, l’émergence de divisions intra-ethniques aurait contribué à diminuer la pression hégémonique et possiblement sécessionniste de la part des grands groupes ethniques à laquelle fait face le gouvernement fédéral.

Au final, le remodelage de la fédération n’aurait pas nécessairement permis d’éviter le développement d’un ethno-nationalisme en le remplaçant par des mobilisations politiques fondées sur des intérêts non ethniques, mais il aurait au moins pu éviter l’émergence d’une ethnicité prise comme unique ou principale source de mobilisation politique.

Recartographier la fédération

Force est de reconnaître que tout encouragement à remodeler une fédération vieille de deux décennies apporte avec lui son lot de questionnements indubitablement sérieux et complexes. Un tel exercice est-il seulement possible après vingt ans de fédéralisme ethnique? Entre autres, il ne fait aucun doute que la décision de subdiviser les États d’Oromia, d’Amhara et de Somali en différentes unités serait perçue comme une tentative de « diviser pour mieux régner » par les élites politiques de ces communautés. Après vingt ans de fédéralisme comprenant une « patrie oromia autonome », l’idée d’une nation Oromo n’est plus une construction élaborée dans un « vide politique ». En ce qui concerne l’Oromia, un tel remodelage pourrait même être imprudent étant donné l’actuel climat politique où des manifestations qui avaient débuté en protestation au plan-cadre d’Addis-Abeba ont fini par se propager comme une traînée de poudre au sein des villes et communautés d’Oromia. Il faut donc s’avérer prudent et ne pas chercher à imposer un tel arrangement aux groupes ethniques (voir Anderson 2016).

Qui plus est, il faut également se garder de se laisser leurrer par les exigences du présent et perdre de vue la fluidité notoire des identités politiques fondées dans l’ethnicité. S’il y a bien une chose que suggère la pertinence croissante des identités qui étaient par le passé à la fois moins cohérentes et moins marquantes sur le plan politique, c’est que les identités ethniques ne sont ni stables ni statiques. Il ne faudrait pas non plus exagérer la détermination des politiciens à préserver la cohésion des communautés culturelles qu’ils disent représenter. La subdivision d’un État quelconque en un ensemble de plus petits États s’accompagne nécessairement d’une multiplication du nombre d’élus et de la création d’une nouvelle fonction publique, ce qui implique le pouvoir de répartir les contrats pour les infrastructures, incluant notamment les routes, les hôpitaux et les écoles. Dans ce contexte, la création de nouveaux États peut être attirante pour les professionnels de la politique parce qu’elle offre l’opportunité d’accéder au pouvoir et de contrôler d’importantes ressources.

Sans doute, la façon de proposer et de mettre en place une telle reconfiguration géographique de la fédération est-elle aussi importante que le projet en lui-même. Les membres des communautés ethniques concernées et leurs représentants politiques doivent être convaincus qu’un tel projet n’est pas une tentative de remettre en cause leur auto-administration, mais au contraire de la faciliter sans mettre l’intégrité nationale sous pression. Le principal défi demeure celui de s’assurer que le changement soit mis en place au travers d’un processus inclusif et participatif à même d’ouvrir la voie pour consentir à un accord négocié. En ce sens, peut-être serait-il judicieux de garantir aux membres des groupes concernés et à leurs représentants politiques la possibilité future et perpétuelle d’une renégociation des frontières internes. L’accord proposé pourrait inclure, par exemple, une clause stipulant que les populations appartenant aux communautés dont il est proposé que la « patrie » soit subdivisée en États distincts quoique « ethniquement homogènes » aient la possibilité de fusionner après une période d’essai de cinq ans, et à condition d’un appui manifeste au sein de la population concernée. Dans les faits, cela constituerait un plus grand exercice d’autodétermination que le permet le présent arrangement fédéral qui, dans l’ensemble, ne transforma les communautés culturelles en communautés politiques que par simple décret constitutionnel.

Traduction par Benjamin Pillet.

Bibliographie

Anderson, L. (2016), ‘Ethnofederalism and the Management of Ethnoconflict: Assessing the Alternatives’, Publius 46(1), 1-24.

Fessha, Y. (2017) ‘The original sin of Ethiopian federalism’, 16(3), Ethnopolitics, 232-246.

Fessha, Y. (2010) Ethnic diversity and federalism: Constitution making in South Africa and Ethiopia. Surrey: Ashgate.

Markakis, J. (2011). Ethiopia: The last two frontiers. Woodbridge, ON: James Currey.

Roeder, P.G. (2007). Where nation-states come from: Institutional change in the Age of nationalism. New Jersey: Princeton University Press.

Stepan, A. (1999) ‘Federalism and Democracy: Beyond the US Model’, Journal of Democracy 10(4) 19-34.

Tareke, G. (1991) Ethiopia: Power and protest, peasant revolts in the twentieth century. Cambridge: Cambridge University Press.

Lectures suggérées

Anderson, L. (2014). “Ethnofederalism: The Worst Form of Institutional Arrangement…?” International Security 39(1): 165-204.

Clapham, C (2012). Ethiopia. In J. Herbst, T. McName & G. Mills (Eds.) On the fault line: Managing tensions and divisions within societies (pp 150-169). London: Profile books.

Hale, H. (2004). “Divided We Stand: Institutional Sources of Ethnofederal State Survival and Collapse.” World Politics 56(2): 165-193.

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